Afrique et économie circulaire : L’interview d’Alexandre Lemille

L’Afrique, un continent circulaire ?

Le point de vue d’Alexandre Lemille, co-fondateur de African Network of Circular Economy (ACEN)

 

De manière générale, le modèle proposé par l’économie circulaire est-il viable ?

Ce type d’économie est viable si elle est réellement circulaire. Il est évident qu’un même produit, vendu plusieurs fois, rend ce modèle viable. Maintenant, dans bon nombre de cas, nous voyons des projets qui ne réussissent pas car ils sont conçus de façon linéaire et vendus comme “circulaires”. Il faut revoir la structure des coûts de telle manière à ce que le produit qui viendra en support d’un service soit vraiment durable. Idéalement il sera démontable et son entretien facile. Chaque pièce interchangeable devra être disponible et accessible à un coût contrôlé par le fabriquant lui-même via un stock de composants dont les fonctionnalités ont été préservées. Je ne dis pas qu’il faut changer toute sa chaîne de valeur du jour au lendemain. Cela peut être réalisé étape par étape, en identifiant les boucles locales d’opportunités à créer. Bien sûr, les structures agiles, telles les start-ups, ont beaucoup moins de contraintes que les grands groupes qui font face à des chaînes d’approvisionnement complexes, intriquées avec un niveau de transparence qui reste à améliorer, et ce, dans le but de réaliser ces opportunités circulaires. C’est aussi pour cela que le Réseau ACEN aide à l’identification de ces start-ups qui viennent souvent, une fois associées à ces multinationales, accélérer leur ratio de circularité.

Enfin, ce modèle réduit les risques futurs et augmente la résilience des entreprises. Vous n’êtes pas sans savoir que les risques environnementaux, économiques et sociaux sont tous en augmentation. Dans un monde où les classes moyennes vont exploser, nos modes de vie devront changer très rapidement. Ce modèle va permettre aux entreprises de se protéger des risques financiers d’achat de matières premières qui deviennent de plus en plus volatiles, va réduire les coûts de production en les redirigeant vers des coûts de maintenance et de « refabrication », et amener les entreprises à changer leur façon de mesurer leur succès dans la prise en compte de ces problématiques, à ce jour, externes à la vie des usines.

En travaillant uniquement avec des acteurs locaux, les nouvelles technologies peuvent-elles s’implanter en Afrique ?

Les nouvelles technologies peuvent s’implanter là où elles font sens. Les marchés et les contextes sont à prendre en compte avant de vouloir introduire des nouveautés. En effet, les technologies ne répondent pas à toutes les problématiques, voire en engendre des nouvelles. En Afrique, il y a de nombreux hubs de technologies low-tech*. Celles qui vous amènent au résultat escompté en utilisant bien moins d’énergies que les high-tech, adulées en Europe par exemple. Les low-tech semblent être un choix d’avenir pour les Européens étant donné que les énergies seront capturées différemment, de manière distribuée. Je vois là une belle opportunité pour l’Afrique de vendre ces low-tech aux Européens. Quant aux high-tech, elles devront être adoptées avec parcimonie sur un continent qui n’a pas les structures pour les réutiliser ou les refabriquer. Il ne sera intéressant d’adopter les technologies dont vous parler que dans le cas où l’Afrique prévoit en même temps leur vie d’après. Dans cette approche, le continent deviendra force d’inspiration pour le reste du monde. Par exemple, au Nigéria, la Plateforme pour l’Accélération de l’Economie Circulaire interagit avec les acteurs du marché de l’électronique pour préserver les composants issus de l’informatique, les préparer à leur réutilisation et planifie des unités de réassemblage d’ordinateurs faits au Nigéria. Si ce projet pilote réussi, il sera étendu à plusieurs autres pays du continent. C’est en cela que l’Afrique a une opportunité unique devant elle: adopter les technologies qui répondent aux besoins des gens sans engendrer des problèmes futurs.

En Afrique, de nombreuses initiatives dites « informelles » se développent autour du recyclage et du réemploi de pièces et de matériaux trouvés. Peut-on parler d’économie circulaire ?

Il faut faire la différence entre l’économie de la survie, les activités que vous mentionnez, et l’économie circulaire, la professionnalisation de la valorisation des ressources non valorisées à ce jour. En économie circulaire, le concept de déchet n’existe pas. Nous ne voyons que des ressources à concevoir dans un système économique afin qu’elles s’y insèrent sans jamais arriver au stade déchet. Par contre, l’argument de dire que l’Afrique est l’un des continents les plus « circulaires » vient de cette économie de la survie où toute ressource est récupérée, de façon plus ou moins scabreuse aujourd’hui, mais les comportements sont là. Tout a une valeur, ce qui diffère avec l’Europe où il est de bon ton de jeter pour acheter du « neuf ».

Concernant le secteur informel, des pays comme l’Afrique du Sud essaient de former les personnes y travaillant en leur apportant des conseils côté santé, en leur donnant accès à des entrepôts pour y déposer les matériaux attendus, en leur donnant accès à des salles de repos et des douches. C’est un secteur qui est de plus en plus pris au sérieux car les déchets ont de plus en plus de valeur. Le secteur informel est aussi étudié pour sa compréhension de l’entretien de certains matériaux et pour la géolocalisation des collectes journalières ou hebdomadaires. C’est un secteur très surveillé ces temps-ci même si les personnes de ce secteur veulent rester dans l’informel, et ne pas avoir à payer des taxes et/ou à rentrer dans le « système ».

*Les low-tech, littéralement basses technologies, s’opposent explicitement aux high-tech. Ces technologies sont considérées comme étant plus simples d’utilisation et moins onéreuses. Leur conception se caractérise par des composants localement disponibles, et réutilisables et des produits facilement réparables et peu énergivores.  

Pour en savoir plus sur l’Afrique et l’économie circulaire, téléchargez l’article “Africa, a Circular Continent”, d’Alexandre Lemille ici.

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